Politique n’est pas un gros mot.
Je suis, plus ou moins régulièrement, des blogs de geeks. J’y trouve parfois des articles qui m’intéressent mais c’est plutôt l’exception :
- beaucoup d’articles traitent de technologies qui me répugnent,
- beaucoup de blogs, je suppose pour ratisser plus large, associent allègrement philosophie “libre” et vermines propriétaires,
- assez peu de contenus ont une dimension politique ou au moins réflexive.
En fait, je viens de dire trois fois la même chose. Deux mondes s’opposent :
- l’un qui cherche à nous rendre prisonniers de fournisseurs,
- l’autre qui veut rester libre.
En génétique on dirait que le gène commercial/libéral/propriétaire est dominant tandis que le gène libre est récessif. Pour ceux/celles qui ont séché :
- libre+libre = libre
- libre+proprio = proprio
- proprio+proprio = proprio
Donc si on mélange, on fait le jeu des marchands (donc d’un système qui veut tout privatiser, contrôler et, in fine, rendre commercial, si possible sur un mode monopolistique). Pour être plus explicite, Google aujourd’hui, Ubuntu demain. Tout est politique, qu’on le veuille ou non. La soi-disant neutralité (le “choix” de ne pas choisir) EST politique. Maintenant vous savez. Si vous continuez, vous savez pour qui vous roulez.
Simple ?
Qui côtoie (volontairement ou non) des utilisateurs d’Apple entend, inexorablement, qu’avec les produits Apple, tout est plus simple. C’est absolument vrai. Enfin… C’est surtout une question de vocabulaire et de philosophie. Clarifions.
Pour cela, je vais faire une analogie avec la voiture ; c’est simpliste mais c’est bien là tout le propos. Je veux aller d’un point A à un point B. Je monte dans ma voiture.
option 1 – j’ai fait le choix de la google-car, l’i-car, etc. J’indique à la voiture ma destination, je m’installe confortablement, je sors mon i-baladeur, mon i-tablette et je ne m’occupe plus de la route. La voiture va décider de la vitesse, de l’itinéraire, m’éviter autant que possible les embouteillages et les accidents mais aussi nous ravitailler (en carburant, en nourriture) chez les fournisseurs qui auront un accord avec la marque de la voiture. Les possibilités de passer par un chemin ou un site particulier seront limitées, les voies à péage seront privilégiées. En cas de panne, c’est mon i-assistance qui prendra tout en charge, etc. Tout ça a un coût ou plutôt des coûts :
- la voiture elle-même : vendue chère pour amortir les coûts liés à la recherche. Ces coûts seront assez vite rentabilisés mais le vendeur en profitera longtemps, y compris en faisant de “gros efforts sur le prix” (= réduira légèrement sa marge qu’il aura, de toute façon, déjà transférée ailleurs)
- l’entretien : uniquement dans le i-réseau qui, comme chacun sait, est économiquement très avantageux pour le client et permet aux passionné(e)s de bricoler leur voiture comme ils l’entendent…
- les services associés : le GPS “intelligent”, les infos trafic, l’assistance, les péages…
- les fournisseurs tout le long de la route paieront pour être “i-compatibles” ou “i-approuvés”. Cette location de “licence” sera facturée, bien sûr. Pas forcément explicitement, mais tout comme on paye aujourd’hui la publicité incluse dans le prix du produit. Quand je parle de fournisseurs, j’englobe aussi les “village-étape” qui devront payer pour qu’on puisse s’y i-arrêter pour admirer le paysage ou savourer un produit de terroir.
- les autres coûts, encore plus indirects, liés au fait que ceux qui ne participeront pas à l’i-racket licencieront, fermeront boutique et coûteront à la société (chômage, allocations de survie diverses). On a déjà le modèle de la grande distribution où les producteurs ont le “choix” de survivre en vendant quasiment à perte ou de mourir faute de distribution.
- et je ne parle même pas du coût social de faire travailler des enfants et des gens pour un salaire de misère dans des conditions inhumaines, à respirer je ne sais quelles vapeurs d’acides ou tremper ses mains dans je ne sais quel bain chimique.
option 2 – j’envisage ici une approche libre de l’i-car : une voiture dont la documentation est en accès libre, dont on choisit les composants, qu’on peut monter/réparer soi-même si on veut (ou confier ce travail à un professionnel), dont les pièces sont compatibles entre elles et achetables chez différents fournisseurs en faisant jouer une véritable concurrence (basée sur le prix, la qualité et l’éthique). Pour la conduite, choix de l’itinéraire (carte papier, GPS ou à l’instinct), plaisir de conduire ou pas, choix de la route (directe ou pas, rapide ou touristique, payante ou pas), choix des fournisseurs (carburant, nourriture, étapes, assistance…)
Alors que signifie le mot “simple” au final ? D’après le dictionnaire (que je vais paraphraser pour respecter le copyright) :
- Qui est formé d’une unique partie, qu’il n’est pas possible de décortiquer,
- Qui, constitué de peu d’éléments, est facile à comprendre, à utiliser,
- Qui ne contient pas d’éléments décoratifs.
Si je vous parle d’un ordinateur non-démontable équipé d’une souris à un bouton, où un programme, même s’il ouvre plusieurs documents, n’est présent qu’une fois dans la barre des tâches, où la configuration est réduite au maximum, où il n’existe qu’un seul fournisseur de contenu culturel et qui a pour look (hyper branché, bravo le marketing) la sobriété extrême (tout est blanc), vous pensez à quoi ? Un produit simple.
Donc un produit simple permet de ne pas avoir à choisir : il n’y a qu’un seul modèle d’ordinateur ou de téléphone qui ne donnent accès qu’à un fournisseur de “culture”, qui ne propose qu’un éventail aseptisé de contenus (textes, musique, vidéos, photos). Continuons de railler l’URSS et son unique marque de savon ou de voiture…
Un Anneau pour les gouverner tous. Un Anneau pour les trouver. Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier.
Finis les contenus politiques, religieux, subversifs, érotiques, etc. Finie la pensée. Bienvenue dans la matrice IRL (In Real Life). Je caricature ? Vous êtes sûr(e) ?
Libre !
Mais ce n’est pas parce-qu’on a le choix entre 3 routes pour aller quelque-part qu’on ne peut pas prendre celle qui va tout droit. En d’autres termes, le “simple” n’est pas moins compliqué que le libre. C’est juste plus fermé. Impossible de sortir des sentiers battus (couper à travers champs, imaginer une 4ème route) et donc d’exercer notre créativité.
Et il y autre chose. À moins d’être d’une totale naïveté, il est impossible d’accorder aveuglément notre confiance à n’importe qu(o)i. Cette machine à voter prend-elle bien en compte mon choix ? Mon téléphone n’est-il pas en train de transmettre ma position, mes habitudes de consommation ? Ma vie privée est-elle précieusement préservée ? Si on ne peut pas regarder à l’intérieur comment ça marche, impossible de le savoir.
Il reste un dernier droit qu’on ne doit pas laisser nous échapper : celui de reproduire et partager. À commencer par ce que nous mangeons : comment admettre que la production de maïs ou de tomates soit contrôlée par qui/quoi que ce soit ?
Ok, donc le libre c’est pas simple !
Ben non. Parce-que ça oblige à faire des choix, donc à réfléchir, à mettre de soi dans ce qu’on fait ou ce qu’on consomme. Parfois même, il faut se restreindre, résister à la tentation du simple, revoir nos habitudes de confort.
Passer à Linux, par exemple, ça représente des efforts, changer quelques habitudes, accepter de ne pas toujours avoir le dernier gadget, devoir se battre parfois pour que notre choix soit respecté (“non, désolé, je n’ai pas la dernière version de Word”) mais, au fond, ce n’est vraiment pas si compliqué ni même contraignant.
J’ai avalé la pilule rouge il y a plus de 3 ans et maintenant, quand je me retrouve sur un Windows ou un Mac, les problèmes que je rencontrais à l’époque me reviennent en mémoire, comme si je me souvenais d’un rêve. Rien n’est gagné, Mark Shuttleworth a contaminé Ubuntu, l’escroquerie du cloud (le stockage et le partage des données “simple”) est en train d’en-fermer les données et les prochaines menottes à la mode seront des lunettes.
Mais ne comptez pas sur moi pour vous les vendre.